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détenteurs du bon gout
27 avril 2011

Un immense pouce levé

martinellinuit

 

Il faut dire ce qui est : la littérature française d’aujourd’hui ne fait fantasmer personne, parce que jamais Mathias Enard ou Laurent Gaudé ou d’autres dans ce goût-là (cf. Télérama chaque mercredi) ne révolutionneront quelque chose ni ne laisseront une trace quelconque quelque part, à part dans l’esprit lucide de leurs lecteurs qui se diront : Mon Dieu, j’ai perdu quelques heures de ma vie à lire ces gens sans talent. Le problème est tellement profond que le dernier émoi en littérature française qu’on a pu unanimement ressentir ces dernières années remonte à 2008 lors de la réédition de Jérôme de Jean-Pierre Martinet, soit un livre d’abord paru en 1977, écrit par un auteur mort il y a vingt ans. Pas sûr que Laurent Gaudé, vingt ans après sa mort, marque encore les esprits (et prions pour cela).

Bref, on a compris, la littérature française, ce n’est pas du tout ma tasse de thé. Alors quand arrive sous mes yeux La nuit ne dure pas d’Olivier Martinelli, j’avoue avoir quelques réticences. Pourquoi un tel a priori ? Parce que l’auteur se revendique de la même trempe que John Fante, ou Bukowski ou Selby, soit à peu près ce qui se fait de mieux en littérature américaine ces dernières décennies (excepté Bukowski) et que de telles références paraissent impossible à assumer. Parce que le pitch (un groupe de rock composé d’ados rebelles trop déglingués qui connaissent la vie t’as vu) sent le rock’n’roll forcé, le récit d’une jolie petite jeunesse dorée où le problème vient du coma éthylique d’un gamin de seize ans qui a bu une canette de Kro en trop. Parce que le titre est emprunté à Daniel Darc (Dieu ?) et à sa chanson Rouge Rose d'une beauté indépassable et qu'il est risqué de flinguer un tel bijou en scribouillant un bouquin sans intérêt.

Oui, mais. L’éditeur n’est pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de 13ème Note, spécialisé en littérature américaine qui a du coffre, qui a des tripes et qui a révélé en France l’immense Mark SaFranko et remis au goût du jour l’excellent Dan Fante. Je m’étais déjà enflammé avec une euphorie incontrôlée sur le somptueux Livre des fêlures paru avant Noël. Et voici donc que cette valeur sûre de l’édition prend le risque de publier un auteur français inconnu ? Ça ne devrait donc pas être si pathétique que ça, au mieux ce bouquin sera juste minable. Et bien non, surprise, le roman de Martinelli est excellent.

Un groupe de rock, les Kid Bombardos, créé par trois frères qui ont la musique, le Velvet Underground et John Fante dans le sang (et aussi les Strokes, malheureusement, nul n’est parfait). Trois récits distincts composent le livre : chacun des trois frères prend la parole. Le plus fort, c’est que ça sonne vraiment juste, sans tomber dans l’écueil évoqué plus haut, à savoir le tout rock’n’roll ridicule qui n’a jamais été vécu. La cuite démentielle de l’un sent le vécu, la panne d’inspiration de l’autre également, les turpitudes sentimentales du troisième aussi. C’est parfaitement orchestré, c’est bien mené, et on se laisse conduire dans ces différents dédales de débauche, de crainte, de rage, de doutes…

Du coup, une fois le livre refermé, on veut en savoir davantage sur ce groupe-là, mégalomane comme il faut, ambitieux et, apparemment, plein d’avenir. Une ou deux écoutes permettent de se rendre compte qu’effectivement, il y a quelque chose de pas mal là-dedans. La famille Martinelli (Olivier, l’auteur, est l’oncle des trois musiciens) est décidemment pleine de talents. Et l’on peut oser une comparaison : dans un coin, il y a les BB Brunes, Kyo et toute cette merde pour ados boutonneux qui n’ont aucun avenir et de l’autre, il y a Kid Bombardos un groupe promis à durer. Pareil en littérature : Olivier Martinelli peut aller loin, il peut cogner fort et laisser une trace. Dans le coin opposé, les coups donnés par Mathias Enard et consorts glissent sans toucher et tombent comme des gouttes d’eau qui laissent l’océan indifférent.

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