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détenteurs du bon gout
23 novembre 2010

J'ai (enfin) lu L'attrape-coeurs

attrape_coeurs

Il y a trente ans, John Lennon nous quittait, assassiné sans autre forme de procès en bas d’un immeuble de New York. Aujourd’hui, mille hommages lui sont rendus et de nombreux bouquins foisonnent ça et là sur sa vie son œuvre. Mais il y en a un qui devrait, plus qu’aucun autre, attirer notre attention en cette période de commémoration : L’attrape-cœurs, de Jerome David Salinger. Pourquoi ? Parce que le bon gars Mark Chapman qui a eu l’idée d’appuyer cinq fois sur la gâchette pour faire de Lennon une légende éternelle du rock a fait de ce bouquin son livre de chevet, mieux, sa Bible.

Tout le monde considère L’attrape-cœurs comme un chef d’œuvre, un livre phare du vingtième siècle, un monument de la littérature américaine, un manifeste de la jeunesse tracassée des années cinquante, bref, un mythe. Ceci dit, lorsque tout le monde est unanimement d’accord, il est de bon ton de trouver le truc louche qui se cache derrière. Après tout, tout le monde a dit que Titanic était un grand film (grave erreur), que Picasso était un grand peintre (l‘imposteur), que Godard fut un grand réalisateur (RIP). Il fallait donc trouver une faille à L’attrape-cœurs, passionnément salué depuis sa sortie en 1951, tellement d’ailleurs que son auteur n’a rien trouvé de mieux que vivre reclus dans une ferme du New Hampshire, coupé du monde, refusant de parler et de publier, histoire d’envoyer tout le monde se faire voir. Rien que pour son attitude, on doit concéder qu’on est face à un génie.

Le livre, donc. Paru en poche chez Pocket (pas un gage de qualité quand on connaît le catalogue de cet éditeur, avec Marc Lévy et Guillaume Musso en figure de proue). Traduction d’Annie Saumont (on ne tentera pas de jeu de mots), très différente apparemment de la première traduction de Jean-Baptiste Rossi. Holden Caulfield est un jeune gars qui se fait virer de son collège bicause il a foiré quasiment toutes ses matières aux examens. Il semble plutôt asocial parce qu’il passe son temps à insulter ses camarades de chambres et ses profs, il déteste tout et tout le monde, et ne semble fasciné que par son grand frère D.B. broyé à Hollywood et par Allie, son autre grand frère, mort. Bref, c’est un ado et comme tout ado en crise, il décide, en pleine nuit, sur un coup de tête, de tout plaquer pour vivre l’aventure.

Nous voici donc dans Huckleberry Finn, soixante-dix ans plus tard, avec un New York foisonnant de prostitués, de clubs de jazz et de gens louches. Le petit Holden se croit grand, se loue une chambre d’hôtel, se fait avoir une fois, puis deux, puis promet qu’on ne l’y reprendra plus, puis se refait avoir, et ainsi de suite. Il est aussi question d’un champ de seigle et de petits bonhommes au bord d’une falaise. Et puis il retrouve sa petite sœur et, miracle, le voici apaisé. Comme quoi, la meilleure thérapie du monde consiste peut-être à regarder une fillette de dix ans faire du poney sur un manège (que ça donne pas de drôles d‘idées à deux-trois belges, hein).

Roman d’initiation, roman sur la difficulté de grandir, sur le refus de devenir adulte et tout, oui, mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi la fraîcheur d’une langue merveilleuse, mi-argotique, mi-poétique, où les métaphores et les associations d’idées se télescopent avec bonheur. Pareille inventivité ne s’était pas vu depuis Erskine Caldwell. Ça m’a tué.

Alors, oui, parfois, ce que tout le monde considère comme un chef d’œuvre peut ne pas nous décevoir. L’attrape-cœurs n’a que de bonnes surprises à apporter, et, même avec toute la mauvaise foi du monde, il serait difficile de trouver des défauts à ce texte. Et puis, de toute façon, un gars qui nous débarrasse de John Lennon a forcément de bons goûts.

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Commentaires
N
A noter qu'en plus de Chapman, ce livre a pour dévots la plupart des tueurs en séries (si, si) et Johnny Depp (trop la classe).<br /> Merci pour la note de traduction, mais il n'existe qu'une seule bonne manière de vivre ce livre, et c'est en VO! Alors un petit effort svp!
L
Je suis le fantôme de l'imposteur en question: je t'emmerde.<br /> <br /> ps: dans l'au delà il y a un autre type avec moi qui se fait appeler La Grande Imposture. De son vivant il était connu sous le sobriquet de Salvador.
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