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détenteurs du bon gout
28 novembre 2011

Armand aime le polar et se lance dans le gonzo 1/3

Juste une mise au point, pour ne pas commencer sur un malentendu : en parlant de gonzo, je ne parle pas du fleurissant porno bas de gamme des années 2000, ces films sans scénario et ces filles sans cervelle qui se font prendre par six, sept ou huit types en même temps, sous l'objectif d'une caméra portée donc tremblotante (pour un subtil procédé en vue subjective pour que le gentil spectateur de l'autre côté de l'écran à la vie sexuelle tutoyant le néant et le sordide puisse se sentir dans l'action, à portée de jet de la soumise), dans le décor naturel d'une villa de Miami louée pour la journée et sous une lumière dégueulasse qui met au jour les problèmes de peau en tout genre de la fille souillée et son appareil dentaire rutilant.

porn

Non, pas ce gonzo-là, plutôt celui qu'a popularisé Hunter Thompson et qu'a expérimenté trente années auparavant l'un des plus grands oubliés de l'histoire de la littérature américaine, Damon Runyon, journaliste et écrivain de génie qui n'a réussi à raconter qu'une seule histoire, déclinée en soixante-dix nouvelles absolument somptueuses : un type rentre dans un bar de Broadway et raconte autour d'un verre à ses potes bourrés comme des coings comment il a levé telle nana tarée, comment il a perdu un sacré paquet en pariant sur le mauvais cheval, et ainsi de suite, en imaginant ce qu'un pauvre tocard paumé mais heureux peut vivre dans une journée. Bref, on est pas là pour causer à propos du bon vieux Damon, ni même d'Hunter.

hunter

Pour en revenir à ce qui nous préoccupe, soit le gonzo et le polar, comme l'indique le titre plus haut, voici. La vie d'un homme (au sens Humanité) est faite de moments de turpitudes et de doutes, de pertes et de pannes, de changements et de renaissances. Derrière cette vérité sentencieusement énoncée tel un mauvais aphorisme de Marc Lévy (bizarrement très nombreux) se tient ce à quoi je veux en venir : j'ai été incapable de lire plus de trois lignes, et ce durant presque deux mois. Certes, mon nouveau mode de vie en a été la cause (et bon vent à mon ancien coloc, plutôt parasite de divan et incomparable destructeur de moelleux coussins made in Ikea), mais ce n'était pas tout : j'ai été incapable de m'enflammer pour le moindre texte. Tout ce qui me passait sous la main me paressait creux et sans intérêt, à l'exception d'un livre certainement grandiose mais que j'ai trouvé juste bon (Op Oloop de Juan Filloy que je vous conseille néanmoins de lire because les gens qui ont travaillé dessus sont merveilleux et les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont tout mon amour et bien plus encore).

op oloop

Il fallait donc me remettre en selle parce que cette atonie de lecture et cette catatonique condition ne me convenaient guère. Je me suis donc lancé dans la lecture effrénée de polars.

L'hiver arrive et je me suis, cette année encore, déguisé en dandy, portant veste de velours et gilet noir surmontant une chemise blanche impeccable et une cravate noire d'un goût très fin, me promenant ainsi dans les rues mornement frigorifiées, sans oublier l'accessoire parfait, des gants de cuir dont je suis le seul à savoir qu'ils sont troués sur toute la longueur de mon majeur gauche. Pour faire vite, je ressemble en permanence à un tueur à gages en mission.

tueurs

J'écoute du jazz à longueur de journée (et, pour refaire un clin d’œil, merci au parasite de divan pour cette initiation à cet art majeur), Art Blackey et Chet Baker et Benny Goodman et Herbie Hancock et tout un tas d'autres virtuoses de la trompette et du saxophone et du piano, accompagnés d'une batterie toujours juste et d'une contrebasse savamment manipulée, à me faire couler les larmes. Tout concourt donc à me conduire au polar : le froid, la panoplie d'assassin et le jazz. Capillotracté, mais logique.

Tout a commencé avec La hache, d'Ed McBain. Le bon vieux Ed a eu une idée et, sur des dizaines et des dizaines de romans, a tiré sur ladite idée avec génie. Il raconte la vie d'un commissariat du 87ème district (de quelle ville ? sans importance, car elle n'existe pas, peut-être est-ce New York, peut-être San Diego). Quelques personnages reviennent ici et là, comme dans les quinze saisons d'Urgences. Dans La Hache, tout débute par la découverte du cadavre d'un gardien d'immeuble dans le sous-sol dudit immeuble. Le macchabée a comme qui dirait une hache plantée dans le crâne. On suit l'enquête, mais le plus important, ce sont les dialogues entre les flics : voici qu'ils causent sur plusieurs pages du film qu'ils ont vu la veille, et de se rappeler quel goût avait le pop corn, et si l'actrice principale n'avait pas joué dans tel autre film. Eddie était payé à la page et c'est peu dire que le bon bougre a réussi à rouler un paquet d'éditeurs avec son système car l'enquête est résolue en quatorze pages, alors que le livre en compte 218.

la hache

Ed m'a fait du bien, oh oui un bien fou, et un truc s'est déclenché en moi, comme le mécanisme longtemps rouillé d'une horloge retrouvée dans le grenier de la mère-grand et qui se remet à fonctionner miraculeusement. Alors j’enchaîne sur Marilyn la Dingue de Jerome Charyn.

marilyn

On a tout du polar : flic taciturne et filles dépravées. Gang des rues et agressions en pagaille. Enquête qui touche directement le flic principal car c'est à son entourage qu'on s'en prend. Et, en toile de fond, le New York jazz et juif cher à Woody Allen. Grand art, un régal, on en redemande de cette atmosphère délicieusement mise en scène. Par chance, le bon Jerome a eu la bonne idée d'écrire trois autres tomes pour composer un tout qui ferait saliver l’anorexique après un repas copieux (douteux, non ?).

du balai

Oui, le goût de la lecture m'est revenu après ces deux premiers livres dévorés en quatre jours, mais tout cela restait fragile. Pour consolider le tout, comme un grand verre de lait littéraire venu solidifier les os de verre de mon entrain de lecteur (puissant, puissant !) ne partons pas trop loin dans l'inconnu : Ed McBain, le retour, avec Du balai ! cette fois-ci, soit le premier tome de la série consacrée au 87ème district. On retrouve Steve Carella, le flic principal qui avait déjà mené l'enquête sur le gardien avec la hache dans le crâne. Désormais, il se bat contre un pauvre fou qui assassine un à un tous les flics qu'il croise. Certes, l'épisode est moins drôle que La hache, mais il est plus travaillé et mieux écrit, preuve que le Eddie a vraiment bossé ses premiers livres pour ensuite en écrire d'autres un peu à la vas-y comme j'te pousse, pondant bouquins sur bouquins histoire de vivre et payer ses factures de gaz. Du balai ! révèle tout de même un mécanisme qui n'a rien du roman policier : finalement, l'enquête, on s'en fout, le temps d'Hercule Poirot et consorts qui se triturent les méninges à partir du moindre détail pour trouver l'assassin est révolu. Désormais, le flic attend que ça se passe, en se disant que le tueur fera une erreur ou qu'il se rendra de lui-même, comme un enfant sage, et, pour tuer le temps, le gentil policier fait ses courses au supermarché, voit de mauvais films et parle chiffon avec sa femme en rentrant chez lui. C'est ce que dit un des personnages du livre : la capacité de déduction du flic est secondaire, la principale chose qu'on lui demande est de courir vite et de faire la taille requise.

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Commentaires
I
Va pas laisser d'empreintes avec ton gant troué.
G
très tentant le programme ;-)
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