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détenteurs du bon gout
4 décembre 2010

Age ingrat et fusillade

coupland              defaits




Avant, l’adolescent à problème était un gars mal dans sa peau, peut-être un peu grassouillet et boutonneux, et qui ne se sentait compris par personne (sauf par son journal intime, variante pour les adolescentes). La solution était toute simple : une bonne petite fugue, une crise de larmes dans les bras de papa maman et tout était réglé. Ouf !

Mais ça, c’était le bon temps, celui d’avant 1999, le bon temps d’avant Columbine. Car, depuis ce jour où deux ados incompris se sont amusés comme à la fête foraine, tout est devenu différent : l’adolescent à problème est méchant, se drogue, écoute de la musique de sauvage et veut tuer des gens parce qu’il tue des zombies dans ses affreux jeux vidéos. Sale époque.

Évidemment, la littérature étant le reflet de son temps, on mesure l’évolution des mœurs adolescentes à travers les écrits d’auteurs importants. Il y a peu, je m’extasiais béatement sur Holden Caulfield, adolescent révolté et fugueur. Cinquante ans plus tard, ledit ado révolté est un poil plus radical. Dans Hey Nostradamus et dans Défaits, il prend les armes et se prépare au combat. Deux livres très différents mais qui ont en commun de traiter du massacre d’adolescents par d’autres adolescents. Deux histoires de jungle moderne, humaine et urbaine.

Dans Hey Nostradamus de Douglas Coupland (Dougy, pour ma chère Ina), le massacre est le point de départ du livre, le fil qui relie entre eux tous les personnages. La jeune et jolie Cheryl tombe en martyr sous les balles de trois losers pathétiques (jusque dans la mort) que tout le monde ignore. De là s’ensuit une réflexion réelle et intéressante sur la perte et le deuil. Comment faire face ? Les moyens à disposition des personnages sont la religion et la voyance. Tout cela sera vain car l’un s’avérera une prison à tout sentiment, à toute compréhension et à toute tolérance, tandis que l’autre se transformera en trahison et charlatanisme éhontés. Les illusions tombent et le dernier chapitre posera la question cruciale (déjà évoquée par Ina) : et si, finalement, le seul moyen de compenser la perte était l’espoir ? A noter tout de même que cet excellent livre est davantage centré sur le personnage de Jason, le mari de Cheryl (mariés à 16 ans, le syndrome 7 à la maison). On le suit onze ans après la fusillade lorsque, devenu adulte, il tente, difficilement, de reconstruire sa vie avec un peu de cohérence. Et, au milieu de tout cela, on apprend que des jumeaux n’ont pas d’âme et que se marier à Las Vegas, ça a vraiment l’air facile.

Alors que le massacre d’adolescents ouvre Hey Nostradamus, c’est là-dessus que se ferme Défaits de Dennis Cooper. Voici un livre totalement singulier, déroutant et, avouons-le, ignoble et vomitif. Non pas que ce livre soit mauvais, une sombre imposture à la qualité lilliputienne, bien au contraire. Le texte est cru, au sens viande froide, déchirée, déchiquetée, sanglante, nerveuse, avariée, grouillante de mille et un microbes malsains. Il faut vraiment lire ce bouquin dans les meilleures conditions psychologiques possibles : par exemple, il fait beau, vous venez d’obtenir une augmentation, la fille ou le type dont vous êtes fou amoureux(se) vous est enfin tombé(e) dans les bras… bref, il faut un truc qui permette à votre jauge de joie d’être au maximum. Sinon, c’est une certitude, vous aurez du mal à vous en sortir sans dommages. Autre précaution : ne pas lire ce livre en mangeant. Au mieux, il vous coupe l’appétit, au pire, vous vomissez.

Pourquoi cette mise en garde ? Le narrateur, lycéen, a quelques petits soucis dans ses rapports aux autres. De plus, il a de plus en plus de mal avec la réalité, et il ne sait plus faire la différence entre ce qu’il a fait et ce qu’il croit avoir fait. Il est dans un doute permanent, souligné par des dizaines de « je ne sais pas », « je crois » à chaque page. Larry, car c’est son nom, a véritablement perdu pied lorsqu’il a tabassé à mort un de ses amis, Rand. Il soupçonnait le Rand en question d’être amoureux de lui et, surtout, de son frère Jim. Problème, Jim est certainement amoureux de son propre frère, Larry. Alors Larry veut en avoir le cœur net, quoi de mieux alors que quelques attouchements, histoire de vérifier la profondeur des sentiments de Jim ? Vous le sentez remonter le vomi ? A côté de ça, Larry devient ami avec un nazi qui veut butter tout le monde parce qu’il n’assume pas son homosexualité. Il soutient d’ailleurs que la tuerie de Columbine a commencé ainsi : Harris est amoureux de Klebold (ou l’inverse) alors, pour prouver que c’est un homme, un vrai, il déclanche une petite surprise-party au rythme de mitraillettes enragées.

Deux variations, donc, sur Columbine et sur le manque évident d’échappatoires pour la jeunesse actuelle. L’ado paumé, dépassé, incompris est en pleine mutation. Reste à savoir quelle sera la prochaine étape du mal être. En attendant, on pleure les morts et on lit les bons bouquins sur le sujet.

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